Pierre-joseph Proudhon

Anonyme 60964 Toute frappante qu’elle soit par sa forme, l’affirmation de Proudhon n’est pas nouvelle quant au fond ; elle reprend l’objection fondamentale faite déjà par d’autres, et notamment par les Saint-simoniens, à la perception de revenus « passifs ». Plus originale est la manière dont l’auteur expose comment se fait, à ses yeux, l’exploitation des ouvriers.

Le cas des ouvriers est en effet un cas particulier. On ne peut pas dire que le patron leur loue, contre redevance, des instruments de production.

Le vol se fait à l’égard des travailleurs par le moyen d’une « erreur de compte » qui consiste en ce que le patron paie chacun comme s’il était employé individuellement, et s’approprie le fruit du travail collectif de son personnel. « Le capitaliste, dit-on, a payé les journées des ouvriers ; pour être exact, il faut dire que le capitaliste a payé autant de fois une journée qu’il a employé d’ouvriers par jour, ce qui n’est point du tout la même chose. Car cette force immense qui résulte de l’union et de l’harmonise des travailleurs, de la convergence et de la simultanéité de leurs efforts, il ne l’a point payée. Deux cents grenadiers ont en quelques heures dressé l’obélisque de Louksor sur sa base ; suppose-t-on qu’un seul homme, en deux cents jours, en serait venu à bout? Cependant au compte du capitaliste, la somme des salaires eût été la même. »

Ou encore : « Une force de 1000 hommes agissant pendant 20 jours a été payée comme la force d’un seul le serait pour 55 années ; mais cette force de 1000 hommes a fait en 20 jours ce que la force d’un seul, répétant son effort pendant un million de siècles, n’accomplirait pas : le marché est-il équitable ? Encore une fois non... ».

L’erreur de compte, qui n’a provoqué les réactions que Proudhon escomptait, est une fausse erreur, en ce sens que tout d’abord l’organisation du travail collectif est une fonction économique qui doit être exercée, et donc rémunérée, et ensuite que le montant du salaire individuel est lié à la productivité du travail dans les conditions où il s’exerce, soit, en ce qui concerne les ouvriers, à la productivité du travail en usine ou en atelier, c’est-à-dire du travail collectif. Proudhon affirme que les entreprises ont les ouvriers à trop bon compte ; en fait, ce sont les ouvriers d’usine qui coûteraient trop cher pour être employés à travailler isolément à faible rendement .

Restait pour Proudhon à proposer une solution concrète qui, mettant fin à l’exploitation et « aux droits d’aubaine », réaliserait la société nouvelle. Cette solution, il croit la trouver du côté du crédit gratuit qui permettrait aux travailleurs d’acquérir directement de l’équipement sans avoir à passer par un propriétaire et à devoir payer une redevance. Il préconise en conséquence la création d’une Banque d’Echange qui aurait pour fonction d’émettre de la monnaie inconvertible, par voie d’opérations d’escompte sans intérêt. Cette proposition dont les conséquences inflationnistes ne paraissent pas avoir été bien saisies par l’auteur, ne se concrétisa pas. Elle fut remplacée par la fondation, en 1845, d’une Banque du Peuple qui devait prêter à intérêt réduit, mais qui n’ouvrit jamais ses guichets.

Réf : Paul Rousseaux, Economie politique générale, Cabay 1980, p 393-396